Stances

Marquise, si mon visage

A quelques traits un peu vieux,

Souvenez-vous qu’à mon âge

Vous ne vaudrez guère mieux.

Le temps aux plus belles choses

Se plaît à faire un affront,

Et saura faner vos roses

Comme il a ridé mon front.

Le même cours des planètes

Règle nos jours et nos nuits :

On m’a vu ce que vous êtes

Vous serez ce que je suis.

Cependant j’ai quelques charmes

Qui sont assez éclatants

Pour n’avoir pas trop d’alarmes

De ces ravages du temps.

Vous en avez qu’on adore ;

Mais ceux que vous méprisez

Pourraient bien durer encore

Quand ceux-là seront usés.

Ils pourront sauver la gloire

Des yeux qui me semblent doux,

Et dans mille ans faire croire

Ce qu’il me plaira de vous.

Chez cette race nouvelle,

Où j’aurai quelque crédit,

Vous ne passerez pour belle

Qu’autant que je l’aurai dit.

Pensez-y, belle Marquise.

Quoiqu’un grison fasse effroi,

Il vaut bien qu’on le courtise,

Quand il est fait comme moi.

Référence bibliographique

Corneille, Pierre, « Stances », Poésies choisies, 1660.

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